« Se perdre soi-même, afin de devenir quelqu’un d’autre, et que ce soit, ironie du sort, la seule manière de sauver sa peau. »
Cachés dans le buisson du fond du jardin, les quatre frères Chance attendent le prochain lancer, le souffle suspendu, le regard fixé sur leur père. Une blessure au pouce, souvenir de l’usine, a contraint Hugh Chance à mettre un terme à sa carrière de lanceur dans la Ligue Mineure de base-ball. Mais il faudrait plus qu’une main estropiée pour empêcher un lanceur de lancer, ne serait-ce que dans son jardin de banlieue, fût-ce après la tombée de la nuit, à l’écart des projecteurs. Et tant pis si les trajectoires des balles sont parfois un peu erratiques : chaque fois que l’une d’entre elles s’écrase contre la porte du garage, l’impact résonne aux oreilles des garçons comme la promesse, pas d’une victoire, mais d’un refus de la défaite. En cette longue soirée de printemps où ils espionnent la résurrection sportive de leur père, ni Everett, l’aîné tumultueux et extravagant, ni le sage et réfléchi Peter, ni Irwin, le costaud jovial et athlétique, ne savent encore ce que la vie leur réserve. Mais tous sauront se souvenir, le moment venu, de cette leçon de ténacité, car comme ils l’apprendront au cours des errances de leurs vies d’adultes, chaque victoire se paye au prix fort.
Une fois encore, les éditions Monsieur Toussaint Louverture ont réussi à dénicher une pépite méconnue de la littérature américaine. Dans une langue virevoltante, pleine de finesse, d’humour et d’esprit, David J. Duncan nous raconte le destin d’une famille américaine des années soixante, chacun des frères Chance représentant une version possible et imaginaire de la personne qu’aurait pu être le frère de l’auteur, décédé à l’adolescence. Le résultat est une fresque puissante et douce-amère, intensément romanesque, vibrante d’autant d’amour que de peine, de colère ou d’espoir. Cet ébouriffant tourbillon de huit cent pages d’émotions fortes vous emporte dans un admirable torrent de gravité mâtinée d’espièglerie, et vous repose avec la sensation d’avoir vécu une expérience inoubliable. Dense, humain et universel, Les Frères K est le genre de roman qui donnerait presque envie de devenir amnésique, simplement pour avoir le bonheur de pouvoir le lire à nouveau pour la première fois.
- Les Frères K, David James Duncan, Éditions Monsieur Toussaint Louverture, Parution : 18 Octobre 2018, 24.00€