LE DÉLUGE, Stephen Markley, éditions Albin Michel

(ATTENTION : l’image qui illustre cette chronique est le produit d’un subtil trucage ; évidemment, aucun livre n’a été malmené lors de sa réalisation. Cette performance a été exécutée par des libraires professionnels et entraînés, n’essayez pas de la reproduire chez vous.)

 

« Provoque-les, emmerde-les, use-les jusqu’à l’os. Sois sans peur. Sois Achille, sois Roland, sois Jeanne d’Arc. Sois folle. Traverse les deux Dakotas, admire l’orage qui électrocute l’horizon, reconnais-toi dans ses bourrasques et chacun de ses éclairs car ce sont eux tes vrais compagnons de voyage. Ne change pas, n’apprends pas, ne tombe pas, ne flanche pas. […] Invoque la tempête, crache ta rage et oblige-les à contempler le spectacle de cette ville plongée dans un noir de cassitérite que tu as imposé avec ta voix et rien d’autre. »

Ces mots, ce sont ceux de Kate Morris, une militante qui deviendra dans le courant des années 2020 l’une des icônes de la résistance écologiste. De la création du mouvement de désobéissance civile Fierce Blue Fire à l’occupation du National Mall de Washington, cette activiste sera en première ligne du combat écologiste pendant toute la décennie. Mais elle ne sera pas seule : on peut aussi citer Tony Pietrus, biochimiste spécialiste des clathrates de méthane et lanceur d’alerte, auteur d’un livre particulièrement alarmant sur l’avenir de notre planète. Ou encore Ashir Al-Hasan, créateur d’un algorithme capable de traiter des quantités gigantesques de données, qui sera vite adapté au cadre des études climatiques. Le dénominateur commun entre ces personnages – et bien d’autres – , c’est la catastrophe climatique qui s’annonce, qu’ils ont tous, à leur manière et à leur échelle, essayé d’enrayer, mais qui bientôt s’abattra sur le monde. Car tous sont voués à traverser ensemble de sombres « années de pluie et d’orage »…

Sidéré, hagard : voilà comment nous laisse la lecture des plus de mille pages du Déluge, le deuxième roman de l’auteur américain Stephen Markley, déjà remarqué en 2020 avec Ohio. Si ce second roman prend à nouveau la forme d’un récit choral qui entrelace les voix d’une multitude de personnages, le projet romanesque de ce récit d’anticipation est d’une tout autre ampleur, d’une ambition vertigineuse : raconter la crise totale des années 2020 et 2030, qui verra les catastrophes naturelles provoquées par le changement climatique se déchaîner, détruisant les structures politiques, économiques et sociales du monde tel que nous le connaissons. Le roman explore toutes les implications d’une thèse centrale, selon laquelle la crise climatique brutale à laquelle le monde sera confronté nourrira d’autres crises, économiques et politiques, et les ouragans et les incendies susciteront dans leurs sillages des famines, des révolutions et des génocides. Un scénario de cauchemar que Stephen Markley expose avec une précision chirurgicale, bâtissant des chaines de causalité aussi inexorables que terrifiantes. Son écriture recourt à des formes paralittéraires : articles de presse, comptes-rendus de réunions, documents de travail qui ancrent le récit dans le réel et créent un sentiment de vraisemblance extrême, redoublé par des références fréquentes à des personnalités ou événements réels. Plus qu’un roman-catastrophe (et les scènes de dévastation ne manquent pas), le Déluge est avant tout un grand roman politique qui décortique le délitement annoncé de nos structures sociales, économiques et politiques sous les coups de boutoir de cataclysmes de plus en plus fréquents, de plus en plus violents. Qui analyse également les dérives autoritaires de pouvoirs politiques orwelliens, recourant allégrement à la surveillance généralisée et aux drones contre les manifestants ; militants qui, de leur côté, glissent vers des formes de terrorisme aveugle. Le Déluge est le roman de l’apocalypse annoncé, dont on ressort sonné, en état de choc ; comme un accident de voiture dont on ne pourrait détourner les yeux.

Avec le Déluge, Stephen Markley signe un roman impressionnant, dense, foisonnant ; un roman parfois anxiogène qui regarde le monde droit dans les yeux ; un roman vertigineux, mais qui, à la seule force d’une narration implacable et parfaitement maîtrisée, parvient à amalgamer tous les éléments disparates qui le composent en un ensemble clair et cohérent. C’est la marque d’un grand roman politique, qui utilise la complexité pour délivrer un message d’une limpidité qui ne laisse plus aucune place au doute.

  • Le Déluge, Stephen Markley, Éditions Albin Michel, Parution : 21 Août 2024, 24.90€
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