« Les cheffes de famille s’expriment à tour de rôle. Toutes approuvent. Il n’y a pas d’autre espoir, dit l’une d’elles. Quand l’un des nôtres est tué par un Blanc, leur police ne fait même pas semblant de mener une enquête. Avez-vous jamais entendu parler d’un colon ou d’un cow-boy arrêté et inquiété pour avoir tué un Lenape, un Cheyenne ou un Creek ? Et si en plus celui-là est parti au-delà des mers… […] Pars à sa recherche […]. Les clans vont se cotiser pour payer ton passage. Nous vendrons les moutons s’il le faut. Ne te présente pas devant nous tant que cet homme blanc marche sur la terre des hommes. »
En ce début d’année 1886, les quais du port de New York sont animés d’une excitation particulière. Ces derniers mois, les New-yorkais les ont passés à scruter l’édification, sur un îlot au large, de la gigantesque statue offerte par les Français. Bientôt, ce symbole de la liberté accueillera les passagers des navires qui entreront dans le port ; elle sera leur premier aperçu du Nouveau Monde. Sur le chantier, quelques ouvriers français participent à la construction, envoyés par la maison Eiffel, forts de leur expérience du démontage de la statue dans ses ateliers parisiens. Parmi eux, Philibert Boucher, un colosse au regard mauvais. Dans le quartier de Red Hook, cette brute a trouvé à se loger dans le même immeuble qu’un couple d’Indiens Lenape, Tori et Tëme Aqa. Tori est la princesse du clan du Loup, venue découvrir le territoire ancestral qu’occupaient les Lenape avant leur déportation dans l’Oklahoma. Tëme est son oncle maternel, guerrier du clan chargé de veiller sur la future matriarche. Lorsque la nuit précédant son retour à Paris, l’ouvrier français, plus aviné que d’habitude, commet l’irréparable, Tëme Aqa est envoyé par le clan par-delà l’océan pour assouvir la vengeance des Lenape. Il retrouvera facilement la trace de l’employé d’Eiffel : il se dit en France que le chantier d’une tour portant son nom, la plus haute du monde, s’apprête à démarrer en plein cœur de Paris…
Dans son cinquième roman, Filles du Ciel, Michel Moutot parvient une fois encore à faire revivre l’esprit d’une époque, à savoir la foi dans le progrès technique de la fin du XIXème siècle, à travers un roman d’aventure bouillonnant. Des faubourgs parisiens à Bedloe’s Island – bientôt rebaptisée Liberty Island -, des territoires indiens de l’Oklahoma au Champ de Mars de la Ville-Lumière, cette histoire de vengeance et de bâtisseurs nous emmène des deux côtés de l’Atlantique, nous plongeant dans un monde que la science triomphante des ingénieurs est en train de connecter. Car c’est bien l’impression qui se dégage des romans de Michel Moutot : celle de contempler le monde en train de se faire, de plonger dans une époque fondatrice de notre modernité ; le tout alimenté par l’énergie d’un roman historique aux personnages inoubliables et à l’intrigue captivante.
- Filles du Ciel, Michel Moutot, Éditions du Seuil, Parution : 10 Mai 2024, 20.50€