» La falaise la dominait de toute sa hauteur, et elle avait beau avoir les yeux baissés, elle sentait sa présence. Même dans la maison elle la sentait, comme si son ombre était tellement dense qu’elle s’infiltrait dans le bois. Une terre d’ombre et rien d’autre, lui avait dit sa mère, qui soutenait qu’il n’y avait pas d’endroit plus lugubre dans toute la chaîne des Blue Ridge. Un lieu maudit, aussi, pensait la plupart des habitants du comté, maudit bien avant que le père de Laurel n’achète ces terres. Les Cherokee avaient évité ce vallon, et dans la première famille blanche à s’y être installé tout le monde était mort de la varicelle. On racontait des histoires de chasseurs qui étaient entrés là et qu’on n’avait plus jamais revus, un lieu où erraient fantômes et esprits. »
Démobilisé après avoir perdu une main dans les tranchées de France, Hank Shelton est revenu s’installer dans la ferme de ses parents, au cœur des Appalaches. Un endroit sinistre, plongé dans l’ombre permanente d’une immense falaise, où il vit avec sa sœur Laurel, née avec une tache de naissance qui lui vaut une réputation de sorcière. À eux deux, ils tentent péniblement de tirer de quoi vivre de leurs terres, dans une autarcie quasi-totale brisée parfois par le vieux Slidell, le seul habitant du coin à accepter de les fréquenter. Un jour, alors qu’elle lave le linge à la rivière, Laurel entend une mélodie entêtante. C’est le son d’une flûte, et l’homme qui en en joue a tout d’un vagabond. Lorsque les Shelton le recueillent, ils se rendent compte que l’inconnu est totalement muet. Mais dans sa poche, la montre qu’il porte est gravée dans une langue qui n’est pas l’anglais…
Il serait dommage de réduire Une terre d’ombre, lauréat du Grand Prix de Littérature Policière en 2014, à un polar ou à un roman noir. Avec des mots simples mais justes, Ron Rash y tisse patiemment, avec comme fils les trajectoires de ses personnages, la toile de la tragédie. Les descriptions de la nature autant que la psychologie des personnages, d’une précision frappante, concordent à créer une tension palpable, qui va crescendo à la faveur d’un dispositif littéraire dont le moindre rouage semble pensé et maîtrisé. Une œuvre d’orfèvre, qui vous prend au piège de cette terre d’ombre pour mieux vous en révéler sa profondeur et ses secrets.
Une terre d’ombre, Ron Rash, Éditions Points, Parution : 10 octobre 2019, 8.60€