« En chemin – sur les chemins –, j’ai subi plus de fractures osseuses qu’en vingt ans d’alpinisme, j’ai bu beaucoup trop de gin avec une sorte de chaman dans les Hébrides extérieures, j’ai cheminé de front avec un homme vieux de cinq mille ans près de Liverpool, j’ai remonté des lits d’oueds en Palestine occupée, et je me suis retrouvé (comme tant d’autres randonneurs anglais avant moi) sur un tronçon aride du chemin de Compostelle, sous un ciel empli de vautours. J’ai emprunté une route éphémère, recouverte chaque jour par les marées, qui passe pour la plus mortelle de Grande-Bretagne mais que j’ai parcourue sans encombre, j’ai admiré le spectacle tapageur d’une pluie de météores dans l’Atlantique Nord, je suis passé à skis sous une arche du Ridgeway recouverte de neige, et je suis presque certain d’avoir aperçu une panthère noire dans le Wiltshire. J’ai passé des nuits à la belle étoile dans des taillis, des champs, des ruchiers, et sur les hauteurs hantées d’une colline de craie dans le Sussex, où j’ai frissonné en me croyant frôlé par des fantômes qui n’étaient, je le crains, que des hiboux. Et partout j’ai fait des rencontres ; des gens normaux ou inattendus, taciturnes ou volubiles, ordinaires ou excentriques, pour qui le paysage et la marche étaient indispensables pour se comprendre eux-mêmes et comprendre le monde. J’ai rencontré des flâneurs, des rêveurs, des marcheurs, des guides, des pèlerins, des vagabonds, des nomades, des rôdeurs, des cartographes, et un homme persuadé qu’il était un arbre et que les arbres étaient des gens. »
Voyageur insatiable, Robert Macfarlane a arpenté bien des chemins de par le monde. Des paisibles chemins crayeux qui sillonnent la campagne du Sud de l’Angleterre à ceux, tumultueux et poussiéreux, qui divisent le Moyen-Orient, des sentiers spirituels de l’Himalaya bouddhiste aux antiques routes commerciales maritimes des Hébrides écossaises, toute curiosité est prétexte à un nouveau départ. Suivre Robert Macfarlane sur ces chemins, c’est marcher sur les sables de la mer du Nord, droit vers le large et les contrées fantomatiques du Doggerland ; c’est louvoyer dans le vent du détroit du Minch sur les traces des chasseurs de gugas de Sula Sgeir pour découvrir l’histoire culturelle des peuples de l’Atlantique Nord ; c’est encore fouler les sous-bois aux sentiers couverts d’aiguilles de pins de la Sierra de Guadarrama ; c’est rencontrer, surtout, des personnages extravagants qui ont, chacun à leur manière, mis leur paysage intérieur au diapason de celui qui les entourait.
Unanimement salué dans les pays anglo-saxons comme un chef-d’œuvre du travel writing, Par les chemins est une puissante exhortation à la découverte du monde et à sa contemplation. Proches ou lointains, tranquilles ou périlleux, bucoliques ou exotiques, les chemins que l’écrivain voyageur britannique nous invite à suivre sont tous l’occasion d’un exercice de géographie poétique. Dans une langue précise, limpide et ciselée, Robert Macfarlane ouvre un dialogue entre l’intérieur et l’extérieur, entre soi et le paysage, qui traduit un rapport au monde vivant, vibrant, mouvant, d’une richesse inépuisable. Sur ces chemins, l’érudition impressionnante et réjouissante de notre guide est une lumière qui dévoile les multiples couches de sens de chaque lieu traversé : histoire, géologie, biologie, topographie, anthropologie, poésie, rien n’échappe à l’esprit curieux du marcheur. Qui, finalement, prend conscience de cette relation fondamentale qui l’unit au monde en s’identifiant aux paysages parcourus, en les gravant au plus profond de sa mémoire, en y imprimant son empreinte. Un texte rare et magnifique, emprunt de la patience de la lenteur et de la sagesse du mouvement.
- Par les chemins, Robert Macfarlane, Éditions Les Arènes, Parution : 25 Août 2022, 24.00€